Sortir : Après l'Ours, les tigres avec Deux Frères, maintenant  Le Dernier loup, il semble que vous entreteniez un rapport particulier avec les animaux sauvages. D'où vient cette fascination ?

 

Jean-Jacques Annaud : Une fois de temps en temps j'aime bien retrouver le monde de l'instinct et réapprendre sur moi-même. Cela fait beaucoup de bien de redevenir humble et de diriger un animal. On a trop tendance à oublier que l'on fait partie de la nature et du règne animal. Peut-être des gens sont-ils perturbés par le fait que je dise que l'homme fait partie de ce règne, car notre culture occidentale nous a appris que l'on est différent. J'ai appris progressivement qu'au contraire nous sommes très semblables. En faisant La guerre du feu  j'ai étudié le comportement des animaux et j'ai été fasciné. J'ai voulu aller plus loin en réalisant L'ours pour donner la parole à un être qui n'en a pas. Et je récidive car je suis tombé sur un roman magnifique qui raconte comment un jeune homme part en Mongolie alphabétiser les populations à une époque ou j'allais découvrir l'Afrique, animé par les mêmes sentiments. Je retrouve le jeune homme que j'étais partant au Cameroun pour enseigner le cinéma. Puis le loup est intéressant parce que contrairement à l'ours ou au tigre il n'est pas solitaire, car il n'est pas suffisamment fort pour survivre seul, et en cela il ressemble à l'homme. Les loups enseignent des leçons de société et d'unité.

 

Sortir : Les animaux que vous choisissez, ours, tigre ou loup sont habités d'une forte charge symbolique...

J-J Annaud : Je suis plus inspiré par un animal qui a habité mon enfance et influencé ma vision du monde. Je souhaitais traiter le loup différemment de ce que l'on raconte. Jiang Rong, l'auteur du livre, m'a dit «  cela me ferait très plaisir qu'après avoir vu ce film les gens changent leur image mentale de cette espèce ». Le loup dans toutes civilisations a été considéré comme redoutable car il livrait de véritables guerres contre les hommes, car ils étaient sur le même territoire. Certains se sont alliés à l'homme qui les a manipulés pour en faire des chiens de compagnie. Du loup au Loulou de Pomeranie...

 

Sortir : Comment vous-êtes vous approprié l'histoire du Totem du Loup ?

J-J Annaud : Ce roman est arrivé à moi parce que des chinois sont venus me dire qu'ils aimeraient que j'en fasse un film. J'avais lu des extraits et je m'étais dit que son message était très proche de celui de certains de mes films. C'est un roman qui a provoqué un changement de comportement au niveau national. Comme la Chine s'est beaucoup industrialisée, les usines crachent des fumées toxiques et les gens sont empoisonnés. Ce livre est arrivé au bon moment pour dire qu'il fallait arrêter et partager la beauté du monde. C'est une conviction avec laquelle je vis depuis longtemps. Je me suis donc senti à l'aise pour tourner avec des acteurs mongols dans les steppes de Mongolie que je rêvais de découvrir, et j'ai passé quatre ans en Chine.

 

Sortir : Ces deux étudiants ont une mission, enseigner la lecture et l'écriture à cette population nomade. Pourtant c'est l'inverse qui se produit, c'est eux qui sont enseignés.

J-J Annaud : C'est ce qui m'est arrivé au Cameroun. Je connais très bien cette histoire du professeur qui apprend de ses élèves...

 

Sortir : Ce qui est curieux c'est que ces jeunes éduqués n'ont qu'une obsession, domestiquer le loup, et posséder une liberté qui ne peut pas se domestiquer.

J-J Annaud : C'est le sujet du film. On ne doit pas domestiquer un animal sauvage. Jiang Rong nourrissait le rêve d'emmener son loup à Pékin. Il savait que c'était mal mais l'aimait et était pris dans ce dilemme. Il s'est aperçu seulement beaucoup plus tard que ce qu'il avait fait était une erreur.

 

Sortir : Il y a un autre personnage important dans votre film, c'est la Mongolie elle-même.

J-J Annaud : L'un des sujets du film c'est que la nature doit être conservée, mais pour avoir cette envie il faut que la nature soit séduisante. C'est là cas de la Mongolie, dont la beauté est troublante. On se dit quelle splendeur et quel dommage qu'elle risque d'être massacrée.

 

Sortir : L'autre personnage essentiel est celui d'Aba, qui leur apprend les secrets des loups.

J-J Annaud : Il a réellement existé, et a été l'un des derniers grands sages de cette région de Mongolie. J'ai rencontré d'augustes vieillards qui étaient ses amis et en parlaient encore avec beaucoup d'émotion. Je crois que si ce jeune homme a vécu avec tellement de bonheur son séjour en Mongolie c'est parce qu'il a été accueilli par ce personnage d'une grande sagesse qui était la parole de la Mongolie traditionnelle.