L’Affaire Makropoulos
Dans la fuite sans fin du temps qui fait défiler les êtres et les choses devant vous, les identités et les singularités, le passé et le présent se dissolvent et se confondent. Emportant tout sauf vous-même, le temps ne vous laisse plus en partage qu’un vide peuplé de fantômes de chair ou de poussières. Sans le terme qui lui donne prix et sens, l’instant s’éternise jusqu’à l’insupportable. Pour cette leçon sur la mort adressée aux vivants Janáček invente une musique à la singulière modernité, à la fois austère, dense, acerbe, expressionniste et oppressante. L’écriture vocale se fond dans cette « parole chantée » qui lui permet de suivre à la fois le rythme intense d’échanges à la théâtralité extrême et les moindres inflexions d’émotion des personnages. Jusqu’au monologue final d’une Emilia qui trouve enfin, au terme de son trop long voyage, la paix d’une mort libératrice et apaisante, et retrouve ainsi sa propre humanité. S’épanche alors enfin tout le lyrisme drastiquement comprimé jusque là, la voix s’élevant, dans une soudaine dilatation de tout l’orchestre, jusqu’aux dimensions de l’univers.
Publié le 26/02/2021